10
La culpabilité de Belwar

 

 

Au cours des jours qui suivirent, Drizzt sortit à de nombreuses reprises avec Seldig et ses nouveaux amis. Sur les recommandations de Belwar, les jeunes gnomes des profondeurs n’entraînaient le drow que dans des jeux discrets et calmes ; ils ne l’incitaient plus à rejouer devant eux les nombreux et excitants combats qu’il avait menés dans l’Outreterre.

Les premières fois, Belwar l’observait du pas de sa porte. Le maître-terrassier faisait confiance à Drizzt, mais il connaissait aussi les épreuves qu’il avait endurées – une vie de sauvagerie et de brutalité qu’il lui serait difficile d’oublier.

Rapidement pourtant, il constata, ainsi que tous ceux qui observaient le drow, que Drizzt avait établi une relation stable avec les jeunes de la cité et qu’il n’était plus un danger pour les habitants de Blingdenpierre. Même le roi Schnicktick, que les événements à l’extérieur de la cité avaient rendu inquiet, convenait que l’on pouvait lui faire confiance.

— Tu as un visiteur, dit Belwar à Drizzt, un matin.

Ce dernier suivit le maître-terrassier jusqu’à la porte de pierre, pensant que Seldig était venu le chercher plus tôt ce jour-là. Quand Belwar ouvrit la porte, Drizzt faillit tomber à la renverse tant il fut surpris, car ce n’était pas un svirfnebelin qui se tenait là, mais une grande et sombre silhouette féline.

— Guenhwyvar ! s’écria le drow en s’accroupissant pour étreindre la panthère qui courait vers lui.

Elle le renversa et s’amusa à le maintenir au sol avec ses grosses pattes.

Quand, se dégageant enfin des pattes de la panthère, Drizzt réussit à s’asseoir, Belwar se rapprocha et lui tendit la figurine d’onyx.

— Il est certain que le conseiller chargé de l’examiner était triste de s’en séparer. Mais Guenhwyvar est ta meilleure amie.

Drizzt ne trouvait pas les mots pour répondre. Depuis son arrivée ici, les gnomes des profondeurs de Blingdenpierre l’avaient mieux traité qu’il le méritait, du moins le pensait-il. Qu’ils lui restituent à présent cet objet magique si puissant et lui témoignent une confiance si totale le touchait profondément.

— Quand tu en auras envie, tu pourras retourner à la maison centrale, là où tu as été emprisonné au début, pour récupérer tes armes et ton armure, continua Belwar.

Drizzt était un peu effrayé, car il se souvenait de l’incident avec le faux basilic. Quels dégâts aurait-il causés s’il avait été armé de ses cimeterres plutôt que de bâtons ?

— Nous les garderons là-bas en sécurité, dit le gnome des profondeurs. (Il comprenait la soudaine détresse de son ami.) Tu pourras les reprendre dès que tu en ressentiras le besoin.

— Je te suis redevable, je suis redevable à tout le peuple de Blingdenpierre, déclara Drizzt.

— Tu ne nous dois rien, l’amitié est gratuite, répondit Belwar en lui adressant un clin d’œil.

Il entra dans sa chambre-grotte afin de laisser Drizzt et Guenhwyvar à leurs retrouvailles.

Seldig et ses amis furent agréablement surpris lorsque Drizzt vint les rejoindre avec la panthère à ses côtés. En voyant le félin jouer avec les svirfnebelins, l’elfe ne pouvait s’empêcher de se rappeler ce jour tragique, presque dix ans auparavant, où il avait vu Masoj lancer Guenhwyvar à la poursuite du dernier rescapé du groupe de Belwar. Apparemment, la panthère n’avait gardé aucun souvenir de cet épisode, car elle batifola avec les jeunes gnomes toute la journée.

Drizzt aurait aimé lui aussi pouvoir oublier les erreurs de son passé.

 

 

 

Quelques jours plus tard, alors qu’ils prenaient tranquillement leur repas du matin, Belwar et Drizzt entendirent une voix qui venait de l’extérieur.

— Très vénérable maître-terrassier !

Le gnome des profondeurs s’immobilisa ; Drizzt, qui commençait à bien connaître son hôte, remarqua la lueur de tristesse qui passa sur son visage.

— Le roi a rouvert les tunnels est. Il y aurait une riche veine de minerai à moins d’une journée de marche. Cela ferait honneur à mon expédition si Belwar Dissengulp daignait se joindre à nous, continua la voix.

Un sourire plein d’espoir s’épanouit sur le visage de l’elfe, non parce qu’il voulait partir à l’aventure, mais parce qu’il trouvait que Belwar se tenait trop en retrait du reste de la communauté.

— C’est le maître-terrassier Brickers, expliqua le gnome à Drizzt d’un air grave. (Il ne partageait visiblement pas son enthousiasme.) C’est l’un de ceux qui viennent me solliciter avant chaque expédition pour me demander de les accompagner.

— Et tu n’y vas jamais, remarqua Drizzt.

— Il ne le fait que par courtoisie, dit Belwar, le visage fermé.

— Car tu n’es sûrement pas digne de travailler à leurs côtés, ajouta l’elfe d’un ton sarcastique.

Il pensait avoir enfin découvert la raison de l’isolement de son ami. Il décida de le provoquer.

— Je t’ai vu utiliser tes mains de mithral, tu serais un atout pour n’importe quelle expédition ! Pourquoi te complais-tu à te croire plus infirme que les autres te voient ?

Belwar abattit sa main-marteau sur la table, fissurant celle-ci sur une grande longueur.

— Je peux creuser la roche beaucoup plus vite que n’importe lequel d’entre eux ! Et si des monstres nous attaquent…

Il agita sa main-pioche d’un air menaçant ; Drizzt ne doutait pas qu’il savait s’en servir.

— Bonne journée, très vénérable maître-terrassier. Comme toujours, nous respecterons ta décision mais, comme toujours, nous la regretterons, continua la voix à l’extérieur.

Drizzt regarda Belwar avec curiosité.

— Si tout le monde, toi y compris, te trouve compétent, alors pourquoi n’y vas-tu pas ? Je sais que les svirfnebelins adorent ces expéditions, et pourtant tu n’y vas jamais. Tout comme tu ne parles jamais de tes aventures hors de Blingdenpierre. Est-ce ma présence qui te retient ici ? Es-tu obligé de me surveiller ?

— Non, répondit Belwar de sa voix puissante qui résonna longtemps aux oreilles sensibles de l’elfe. On t’a rendu tes armes, elfe noir. Ne doute pas de notre confiance.

— Mais…

Drizzt s’interrompit ; il venait de comprendre les causes de la réticence du gnome des profondeurs.

— Ce combat… ce jour maudit, il y a plus de dix ans, poursuivit-il doucement, presque en s’excusant. (Belwar détourna le regard.) Tu te sens responsable de la mort des tiens.

L’elfe parlait d’une voix de plus en plus forte à mesure qu’il suivait son raisonnement.

Quand Belwar se retourna de nouveau, ses yeux étaient remplis de larmes.

Drizzt passa sa main dans sa chevelure blanche ; il avait vu juste mais ne savait plus quoi dire au svirfnebelin. Il avait lui-même mené la patrouille drow contre l’expédition minière des gnomes des profondeurs, et il savait qu’aucun d’entre eux n’était responsable de ce désastre. Mais comment pouvait-il le faire comprendre à Belwar ?

— Je me rappelle ce jour comme si c’était hier, comme si ces terribles instants étaient gravés à jamais dans ma mémoire.

— C’est la même chose pour moi, murmura le maître-terrassier.

— Je me sens aussi coupable que toi. (Belwar le regarda, interloqué.) J’étais à la tête de cette patrouille. J’ai fait l’erreur de vous prendre pour des maraudeurs qui voulaient attaquer Menzoberranzan.

— Toi ou un autre…, intervint le svirfnebelin.

— J’étais le meilleur, là-bas… (Il regarda vers la porte.) Dans les régions sauvages de l’Outreterre, j’étais chez moi. C’était mon territoire. (Belwar était suspendu à ses lèvres, comme Drizzt l’avait espéré.) Et c’est moi qui ai détruit l’élémental de terre. Sans moi, le combat aurait été plus équilibré. Plusieurs svirfnebelins auraient pu rentrer à Blingdenpierre. (Belwar ne put réprimer un sourire. Il y avait de la vérité dans les paroles de l’elfe car, en effet, il avait fait pencher la balance. Mais il trouvait que Drizzt, dans son désir de soulager son sentiment de culpabilité, prenait des libertés avec les faits.) Je ne comprends pas que tu puisses t’en vouloir. Avec moi à la tête de la patrouille, vous n’aviez aucune chance, dit l’elfe dans un sourire.

Il espérait qu’un peu d’humour réconforterait son ami.

— Magga cammara ! C’est un sujet trop douloureux pour en plaisanter, répondit Belwar, sans pouvoir s’empêcher de rire.

Drizzt reprit son sérieux.

— Je suis d’accord. Mais plaisanter d’une tragédie vaut mieux que de vivre enlisé dans la culpabilité d’un incident dont personne n’est responsable. Enfin… si ! C’est Menzoberranzan et ses habitants qui sont à blâmer. C’est leur façon d’envisager l’existence qui a condamné votre expédition minière pacifique.

— C’est le maître-terrassier qui est responsable de son groupe, c’est le seul habilité à monter une expédition, le seul à devoir en assumer les conséquences, rétorqua Belwar.

— Tu as choisi de mener ton groupe si près de Menzoberranzan ? demanda Drizzt.

— En effet, répondit Belwar.

— De ton propre chef ? insista l’elfe. (Il estimait suffisamment connaître la société svirfnebeline pour savoir que la plupart, pour ne pas dire la totalité, des décisions importantes se prenaient en commun.) Sans Belwar Dissengulp, aucun de ces mineurs ne serait allé dans cette région ?

— Nous savions qu’il y avait un riche filon à exploiter. Le conseil avait décidé que le jeu en valait la chandelle.

— Toi ou un autre…, dit Drizzt, reprenant les mots de Belwar.

— Un maître-terrassier doit assumer la responsabil…, commença le gnome des profondeurs avant de détourner le regard.

— Ils ne t’en veulent pas, ils t’honorent et prennent soin de toi, enchaîna Drizzt.

— Ils ont pitié de moi ! rugit Belwar.

— As-tu besoin de leur pitié ? hurla l’elfe à son tour. Es-tu inférieur à eux ? Un infirme qui n’est plus bon à rien ?

— Jamais de la vie !

— Alors va avec eux ! Vois s’ils ont vraiment pitié de toi. Je suis persuadé que non, mais, si tes soupçons sont fondés, si ton peuple a vraiment pitié de son « très vénérable maître-terrassier », alors montre-leur qui est le véritable Belwar Dissengulp ! Et s’ils ne te témoignent ni condescendance ni rancœur, ne le fais pas à leur place !

Belwar observa son ami pendant un long moment mais ne répondit rien.

— Tous les mineurs qui t’accompagnaient connaissaient les risques qu’il y avait à venir si près de Menzoberranzan, lui rappela Drizzt. (Un sourire éclaira le visage de l’elfe.) Aucun d’entre vous, même pas toi, ne savait que vous alliez croiser le chemin de Drizzt Do’Urden. Vous seriez tous restés chez vous, sinon !

— Magga cammara, marmonna Belwar.

Il était surpris par l’attitude blagueuse du drow et aussi par le fait que, pour la première fois depuis dix ans, il se sentait mieux. Il se leva de table, fit un sourire à Drizzt et se dirigea vers sa chambre.

— Où vas-tu ?

— Me reposer, tout cela m’a fatigué, répondit le maître-terrassier.

— L’expédition va partir sans toi.

Belwar fit volte-face et adressa un regard incrédule à l’elfe noir. Espérait-il vraiment qu’il oublierait aussi facilement tant d’années de culpabilité et qu’il irait aussitôt se joindre à une expédition ?

— Je croyais Belwar Dissengulp plus courageux.

Le regard menaçant que lui jeta le svirfnebelin fit comprendre à Drizzt qu’il avait touché un point sensible.

— Ce sont des paroles bien téméraires, grimaça Belwar.

— Je n’ai pas peur d’un lâche.

Le svirfnebelin aux mains de mithral s’approcha de lui, bombant son torse musclé à chacune de ses profondes inspirations.

— Si tu ne veux pas que je t’appelle comme ça, prouve-moi que j’ai tort ! lui cria Drizzt au visage. Va avec les mineurs, montre-leur qui est le véritable Belwar Dissengulp !

Belwar frappa ses mains l’une contre l’autre.

— Va chercher tes armes, Drizzt Do’Urden ! lui ordonna-t-il.

L’elfe noir hésita. Était-ce un défi ? Avait-il dépassé la limite en tentant de déculpabiliser le maître-terrassier ?

— Va chercher tes armes, Drizzt Do’Urden ; si je me joins aux mineurs, tu viens avec moi !

L’elfe exultait. Il prit le visage du gnome des profondeurs entre ses mains fines puis posa son front contre le sien. Ils échangèrent un regard d’admiration et d’affection. L’instant d’après, Drizzt courait vers la maison centrale récupérer sa fine cotte de mailles, son piwafwi et ses cimeterres.

Incrédule, Belwar se frappa la tempe, manquant de s’assommer, tandis qu’il regardait le drow dévaler le chemin.

Le voyage s’annonçait très intéressant.

 

 

Le maître-terrassier Brickers accepta volontiers que Drizzt et Belwar se joignent à eux, ce qui ne l’empêcha pas, alors que le drow avait le dos tourné, d’interroger Belwar du regard quant à la fiabilité de son compagnon. Néanmoins, même un gnome soupçonneux comme lui reconnaissait l’avantage qu’il y avait à compter un elfe noir dans ses rangs pour arpenter les régions sauvages de l’Outreterre, surtout si les rumeurs d’une activité drow dans les tunnels est se révélaient fondées.

Mais la patrouille ne rencontra aucune activité ni aucun carnage au cours de sa progression dans la zone délimitée par les éclaireurs. Le filon de minerai était aussi riche, si ce n’est plus, que l’avaient laissé entendre les rumeurs, et les vingt-cinq mineurs de l’expédition se mirent immédiatement au travail, avec une ardeur dont le drow n’avait jamais été témoin auparavant. Il était surtout heureux de voir les mains de Belwar en action ; celui-ci récoltait le minerai avec une précision et une rapidité qui surpassaient de loin celles des autres mineurs. Il ne fallut pas longtemps au svirfnebelin pour se rendre compte qu’aucun de ses camarades ne le prenait en pitié.

Durant les jours passés dans les tunnels sinueux, Drizzt, secondé par Guenhwyvar quand elle était disponible, montait la garde. Au lendemain du premier jour d’exploitation, le maître-terrassier Brickers leur avait adjoint un troisième compagnon, un svirfnebelin qui était là pour garder un œil sur eux autant que sur les alentours. Néanmoins, avec le temps, la troupe s’était habituée à la présence de l’elfe noir, si bien que Drizzt était désormais libre de faire ce qu’il voulait.

C’était un voyage fructueux et tranquille, comme les gnomes des profondeurs les aimaient. N’ayant rencontré aucun monstre sur leur chemin, les mineurs ne mirent pas longtemps pour remplir leurs wagonnets de leurs précieuses cargaisons. Ils rassemblèrent ensuite leurs équipements, disposèrent les wagonnets en file indienne et prirent le chemin du retour. Ils en auraient pour deux jours à cause de la lourdeur du chargement.

Après seulement quelques heures de voyage, un des éclaireurs revint à la caravane, l’air sinistre.

— Que se passe-t-il ? demanda le maître-terrassier Brickers, sentant que la chance tournait.

— Une tribu de gobelins, ils sont au moins une quarantaine dans une grotte plus loin vers l’ouest en aval, raconta l’éclaireur.

Brickers frappa du poing l’un des wagonnets. Il était sûr que ses mineurs viendraient facilement à bout des gobelins, mais il ne voulait pas de problèmes. De plus, le grincement des roues rendait une approche discrète impossible.

— Fais passer le mot que nous restons là ; s’il doit y avoir un combat, laissons les gobelins venir à nous, décida-t-il au bout d’un moment.

— Quel est le problème ? demanda Drizzt à Belwar en arrivant à l’arrière de la caravane.

Il s’occupait de l’arrière-garde depuis que la troupe avait levé le camp.

— Une bande de gobelins, répondit le gnome. Brickers veut que nous nous cachions en espérant qu’ils passent devant nous sans nous voir.

— Et si cela ne se passe pas comme prévu ? ne put s’empêcher de demander l’elfe.

Belwar frappa ses mains de mithral l’une contre l’autre.

— Ce ne sont que des gobelins, mais nous aurions préféré que la voie soit dégagée, murmura-t-il.

Cela faisait plaisir à Drizzt que ses nouveaux compagnons ne cherchent pas l’affrontement à tout prix, même contre un ennemi qu’ils savaient pouvoir défaire facilement. S’il avait été avec des drows, la tribu de gobelins aurait probablement déjà été massacrée ou capturée.

— Viens avec moi, dit Drizzt à Belwar. J’ai besoin de ton aide pour expliquer mon plan au maître-terrassier Brickers, au cas où je ne maîtriserais pas encore assez toutes les subtilités de votre langue.

Le gnome arrêta Drizzt avec sa main-pioche un peu plus rudement qu’il l’avait voulu.

— Nous ne voulons pas de combat ; il vaut mieux que les gobelins poursuivent leur propre chemin.

— Je ne cherche pas le combat, assura l’elfe avec un clin d’œil.

Satisfait, Belwar lui emboîta le pas.

Brickers afficha un large sourire quand Belwar lui traduisit le plan du drow.

— Les expressions sur les visages des gobelins vont valoir leur pesant d’or, dit en riant le chef de l’expédition. J’aimerais bien raccompagner !

— Il vaudrait mieux que ce soit moi qui y aille, intervint Belwar. Je connais à la fois le drow et le langage des gobelins, et tu as des responsabilités ici au cas où cela tournerait mal.

— Je connais aussi la langue des gobelins et je comprends suffisamment notre ami Drizzt. En ce qui concerne mes fonctions au sein de la caravane, elles ne sont pas si importantes, surtout qu’un autre maître-terrassier nous accompagne.

— Un maître-terrassier qui n’a pas mis les pieds dans l’Outreterre depuis longtemps, dois-je te le rappeler ? tenta Belwar.

— Mais tu étais le meilleur, rétorqua Brickers. La caravane est maintenant sous ton commandement, Belwar Dissengulp. J’ai décidé d’aller à la rencontre des gobelins en compagnie du drow.

Drizzt avait saisi la majeure partie de l’échange et, avant même que Belwar tente de protester, il lui mit la main sur l’épaule.

— Si nous n’arrivons pas à tromper les gobelins, viens vite et frappe fort.

Brickers ôta son équipement et ses armes, et suivit l’elfe noir. Belwar s’en retourna lentement vers les autres, ne sachant pas trop quelle allait être leur réaction. D’un seul regard, il comprit qu’ils étaient tous prêts à le suivre.

Le maître-terrassier Brickers ne fut en effet pas déçu par les expressions de surprise qu’il lut sur le visage des gobelins lorsque lui et le drow arrivèrent dans leur camp. L’un d’eux poussa un cri perçant et les attaqua avec une lance. Drizzt, utilisant ses pouvoirs magiques, l’aveugla complètement en plongeant sa tête dans une sphère de ténèbres, ce qui n’empêcha pas le gobelin de projeter son arme au jugé. Drizzt dégaina son cimeterre et coupa la lance en deux en plein vol.

Brickers, les mains liées car il faisait semblant d’être prisonnier, resta bouche bée devant la facilité et la rapidité avec lesquelles le drow s’était débarrassé de la menace. Il vit que les autres gobelins étaient aussi impressionnés que lui.

— Un pas de plus et ils sont morts, promit Drizzt dans la langue des gobelins, une suite de gémissements et de grognements gutturaux.

Le svirfnebelin comprit le sens de la phrase quelques instants plus tard, quand il entendit des bruits de bottes et des gémissements venant de derrière. Il se retourna et vit deux gobelins entourés de flammèches pourpres – encore un tour de magie drow – s’enfuir aussi vite que leurs petites jambes le leur permettaient.

Il considéra l’elfe avec encore plus de stupéfaction ; comment avait-il su qu’on les attaquait par-derrière ?

Brickers ne savait rien du chasseur, cette facette de Drizzt qui lui permettait de toujours avoir une longueur d’avance dans ce genre de situation, pas plus qu’il ne pouvait se douter que, à cet instant précis, le drow était engagé dans une lutte contre ce dangereux alter ego.

L’elfe noir regarda son cimeterre, puis les gobelins. Ils étaient au moins une trentaine, pourtant le chasseur lui soufflait d’attaquer ces misérables créatures afin de les voir détaler dans tous les couloirs qui partaient de la grotte. Un regard à son compagnon ligoté lui rappela son plan et lui permit de faire taire le chasseur.

— Qui est votre chef ? leur demanda-t-il dans leur langue.

Ce dernier n’était pas enclin à se faire connaître mais, faisant preuve du courage et de la loyauté propres aux gobelins, une dizaine de ses subordonnés s’écartèrent et le montrèrent du doigt.

Le chef désigné gonfla la poitrine et s’avança, tête haute, vers le drow.

— Moi, Bruck ! dit-il en se frappant le torse du poing.

— Que faites-vous ici ? le railla Drizzt.

Bruck ne savait que répondre. Jamais il n’avait imaginé avoir à demander une autorisation pour les déplacements de sa tribu.

— Cette zone appartient au peuple drow. Vous n’avez rien à y faire ! grogna l’elfe.

— Cité drow loin, objecta le gobelin en pointant son doigt dans la mauvaise direction. Ici, terre svirfnebeline.

— Pour le moment, répondit Drizzt en enfonçant dans le dos de Brickers la poignée de son cimeterre. Mais mon peuple a décidé d’envahir ce territoire. (Il fit passer une lueur de démence sur son visage.) Est-ce que Bruck et sa tribu veulent s’y opposer ? (Le gobelin ne réagit pas.) Déguerpissez ! Nous n’avons pas besoin d’esclaves pour l’instant et nous ne voulons pas que des échos de combats trahissent notre présence dans les tunnels. Tu peux t’estimer heureux, Bruck, que je te laisse fuir avec ta tribu… Pour cette fois !

Bruck se tourna vers les siens à la recherche d’un soutien ; ils étaient plus d’une trentaine armés en face d’un seul drow. Ils avaient donc de fortes chances de l’emporter.

— Partez ! ordonna Drizzt en désignant de son cimeterre un passage sur le côté. Courez jusqu’à ce que vos pieds ne puissent plus vous porter !

D’un air de défi, le chef des gobelins cala ses mains sous sa ceinture de corde.

Un martèlement cacophonique retentit dans toute la grotte. Bruck et les autres gobelins regardèrent nerveusement autour d’eux ; Drizzt en profita.

— Tu oses nous défier ? rugit-il tout en encerclant le chef des gobelins de flammes pourpres. Eh bien puisque tu es aussi stupide, tu seras le premier à mourir !

Il n’avait pas fini sa phrase que celui-ci détalait déjà dans le passage que le drow lui avait indiqué un peu plus tôt. Sa tribu, faisant preuve d’une loyauté sans faille, se précipita à sa suite, les plus rapides lui passant même devant.

Quelques instants plus tard, Belwar et les autres mineurs sortirent des tunnels où ils étaient cachés.

— On a pensé que vous auriez peut-être besoin d’un coup de main, expliqua le maître-terrassier aux mains de mithral tout en tapotant la roche avec l’une d’elles.

— Vous ne pouviez pas mieux tomber, très vénérable maître-terrassier, parvint à dire Brickers une fois son fou rire réprimé. C’était parfait, mais nous ne pouvions nous attendre à moins de la part de Belwar Dissengulp !

La caravane svirfnebeline reprit sa route. Ils étaient tous fiers et heureux de la façon dont ils s’étaient sortis d’affaire. De retour à Blingdenpierre, les gnomes des profondeurs, d’habitude si sérieux et travailleurs, firent une fête de tous les diables pour célébrer leur succès dans la grotte.

Drizzt Do’Urden se sentit vraiment chez lui pour la première fois en presque quarante ans de vie.

Et Belwar Dissengulp ne tressaillit plus jamais en s’entendant appeler « très vénérable maître-terrassier ».

L’esprit-fantôme était désorienté. Alors qu’il commençait à croire que sa proie était à l’intérieur de la cité svirfnebeline, il avait, grâce aux pouvoirs dont l’avait doté Malice, senti sa présence dans les tunnels. Heureusement pour Drizzt et ses nouveaux alliés, l’esprit-fantôme était loin derrière eux lorsqu’il avait flairé leur piste. Zaknafein retourna vers la cité en évitant soigneusement les patrouilles de gnomes. Il y parvenait au prix d’une lutte intérieure de plus en plus difficile à remporter, car l’impatience et l’agitation de Matrone Malice augmentaient. Cependant, Zaknafein restait concentré sur son but : retrouver Drizzt.

Mais il perdit de nouveau sa trace.

 

 

Bruck poussa un grognement sonore lorsqu’un autre elfe solitaire arriva dans son campement le lendemain. Les gobelins ne tentèrent rien contre lui.

— Nous sommes partis comme on nous l’a ordonné ! se plaignit le chef des gobelins.

Il ne se cachait plus derrière son groupe, car il savait que de toute façon ses subordonnés le désigneraient.

Qu’il ait compris ou non les paroles qui venaient de lui être adressées, Zaknafein continua à avancer droit sur le chef des gobelins, ses armes à la main.

— Mais nous…

La phrase se termina en un gargouillis infâme ; l’esprit-fantôme venait de lui trancher la gorge.

Les gobelins s’éparpillèrent dans toutes les directions. Ceux qui étaient bloqués entre la paroi et le drow devenu fou tentèrent de se défendre avec leurs lances. Zaknafein se rua sur eux, tranchant indifféremment armes et membres. Un des gobelins réussit à esquiver ses lames pour lui enfoncer profondément sa lance dans la hanche.

Le mort-vivant ne broncha pas ; il se tourna vers son téméraire assaillant et lui assena une suite de coups rapides parfaitement ciblés qui le décapitèrent et lui sectionnèrent les deux bras au niveau des épaules.

À la fin, une quinzaine de cadavres jonchaient le sol et le reste de la tribu s’était enfui dans les tunnels. L’esprit-fantôme, couvert du sang de ses ennemis, traversa la salle et repartit à la recherche de l’insaisissable Drizzt Do’Urden.

 

 

À Menzoberranzan, dans l’antichambre de la chapelle de la Maison Do’Urden, la Matrone Malice se reposait. Elle était épuisée mais momentanément repue. Elle avait savouré la sauvagerie du massacre perpétré par Zaknafein, ressentant un plaisir intense chaque fois que l’épée du maître d’armes avait transpercé une nouvelle victime.

Elle balaya ses frustrations et son impatience, de nouveau confiante après les délices que venait de lui procurer Zaknafein, Comme elle serait comblée le jour où l’esprit-fantôme retrouverait enfin son traître de fils !

Terre d'Exil
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